Aux États-Unis, le milieu du XXe siècle n’était pas une époque glorieuse pour les personnes marginalisées, particulièrement pour celles ne se conformant pas au modèle hégémonique des rapports de genres : l’homosexualité avait rejoint les rangs des troubles de la personnalité sociopathiques dans le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM) en 1952, et le décret présidentiel 10450, signé par le président Dwight Eisenhower l’année suivante, empêchait toujours les personnes LGBTQ+ de travailler pour la fonction publique fédérale.
Malgré quelques avancées, l’hétéronormativité avait force de loi; la brutalité policière opprimant les personnes marginalisées ne datant pas d’hier, les personnes LGBTQ+ se trouvaient quotidiennement victimes de la justice punitive américaine. Durant les années ‘60, il était même interdit de danser en public avec une personne du même sexe; la persécution vécue quotidiennement par les personnes issues de minorités sexuelles n’avait plus de fin.
À cette époque, la ville de New York refusait de donner des licences d’alcool aux bars acceptant de servir les personnes LGBTQ+. La réglementation avait beau avoir été renversée, les forces policières continuaient de terroriser les personnes LGBTQ+, sous prétexte qu’elles ne pouvaient se tenir la main, ou s’embrasser en public. De nombreuses institutions clandestines faisaient donc partie d’un réseau de crime organisé new-yorkais et maintenaient les forces policières à distance à coup de pots-de-vin ou de faveurs lors des descentes.
Le Stonewall Inn
La nuit du 28 juin 1969, un bar situé dans le Greenwich Village attira l’attention. Lors d’une des fréquentes descentes policières au Stonewall Inn, des émeutes spontanées éclatèrent lorsque les forces policières exigèrent de vérifier le sexe de femmes trans présentes au bar. Une répression policière violente s’en suivit et la descente au Stonewall Inn aboutit à treize arrestations. Cette nuit causa un ras-le-bol collectif qui se transforma rapidement en trois jours d’émeutes contre la brutalité policière.
Plusieurs versions existent quant à la personne ayant jeté la première pierre, mais celle-ci est généralement attribuée à une femme trans racialisée. La majorité des personnes fréquentant le bar à ce moment-là était des hommes gais, des personnes androgynes ou trans, ou des drag queens. Selon Titus Montalvo, la démographie de la foule présente au bar la nuit du 28 juin 1969 consistait d’au moins 70 % de personnes racialisées, dont la majorité étaient latino-américaines ou noires. Le caractère racial de l’origine du mouvement, bien que souvent ignoré, n’est en fait pas surprenant, considérant les désavantages cumulatifs présents dans la vie des personnes vivant dans les marges de la conformité sociale.
De plus, les mouvements de libération genrée au pays, dont les mouvements féministes américains, avaient pris leurs racines dans le mouvement abolitionniste des États-Unis. En effet, les organisatrices de la convention de Seneca Falls qui prit place en juillet 1848, Elizabeth Cady Stanton, Lucretia Mott, Mary Mc’Clintock, Martha Coffin Wright et Jane Hunt, étaient également actives dans le mouvement abolitionniste américain. Elles furent des pionnières de la première vague féministe américaine qui assura le droit de vote de certaines femmes aux États-Unis et entama le long processus de questionnement sur les définitions et les rôles des genres qu’on voit se définir aujourd’hui sous une autre forme.
Une période de répression
Les émeutes de Stonewall sont aussi survenues à une période durant laquelle la répression des résident.e.s américain.e.s par leur gouvernement prenait la forme de programmes nationaux. Ces derniers, incluant le fameux COINTELPRO, avaient pour but de déranger, de détruire et de neutraliser de quelque façon que ce soit les mouvements de défenses des droits civils aux États-Unis, entre autres. Le programme, mis en place et géré par le FBI, visait à prévenir l’unification de masse des Noir.e.s américain.e.s.
Quelques mois après les émeutes de Stonewall, soit le soir du 4 décembre 1969, la violence du programme COINTELPRO culmina à travers l’assassinat de Fred Hampton dans son propre lit. Les efforts du chef du parti des Black Panthers de Chicago, alors âgé que de 21 ans, ne furent cependant pas en vain. Le mouvement multiculturel à caractère socialiste dont il était l’un des principaux fondateurs, Rainbow Coalition, devint éventuellement l’un des fondements de la plateforme politique du président Barack Obama. Durant ses mandats, ce dernier fit avancer les droits civils, particulièrement les droits de personnes LGBTQ+ au pays, malgré ses opinions parfois controversées sur le sujet.
L’après Stonewall
Le Stonewall Inn ferma ses portes quelques mois suivant les émeutes, en décembre 1969, mais retrouva sa place dans le paysage urbain du Greenwich Village en 2007 et est aujourd’hui reconnu comme un site historique national. Le 28 juin 1970, soit un an plus tard jour pour jour suivant la descente au Stonewall Inn, plus de deux mille manifestant.e.s formèrent la première marche de la Fierté LGBTQ+ de la ville de New York, chantant « Gay Pride » et « Gay Liberation ». Les événements de Stonewall marquèrent aussi la création de plusieurs journaux et la formation de plusieurs organisations de défense des droits des personnes issues des minorités sexuelles.
Le contexte historique des événements du Greenwich Village a définitivement agi comme catalyseur dans les émeutes et permit aux événements de mener à un mouvement de libération LGBTQ+ aux États-Unis – constituant la première rébellion rejoignant différents groupes LGBTQ+ pour combattre violemment les discriminations systémiques et morales ainsi que la justice punitive américaine. N’oublions pas que cette rébellion contre les forces de l’ordre écrasant les minorités à été menée par des femmes trans noires.
Et maintenant?
Les manifestations contre le racisme systémique et la brutalité policière qui ébranlent la planète en juin 2020, en pleine pandémie de la COVID-19, crise qui affecte disproportionnellement la santé, la situation financière et la sécurité les populations marginalisées, rappellent les vestiges des émeutes de Stonewall, du mouvement abolitionniste et du parti des Blacks Panthers, qui visaient tous à amener la société dans un monde meilleur. Un monde dans lequel la justice sociale règnerait.
Dans les mots de la direction du département des études africaine-américaines de l’université Georgetown, Robert Patterson, lorsque questionné concernant les solutions pour améliorer les conditions de vie des personnes noires aux États-Unis et les réparations pour la descendance des esclaves, Patterson a dit « nous héritons [d]es problèmes de notre passé […] que nous nous devons d’aborder.» Il appelle également à ne pas oublier que le passé est directement et indirectement lié au présent et que ses vestiges nous suivent de près dans des structures qui diminuent les opportunités de certaines populations.
Durant le mois de la Fierté de 2020, ces populations font entendre leurs voix, joignant les luttes sociales des personnes racialisées et des communautés LGBTQ+ à travers le mouvement Black Trans Lives Matter. Les personnes trans, qui forment l’un des groupes dont la santé et l’économie ont été des plus affectées par la pandémie, doivent aussi faire face à la menace quotidienne de la brutalité policière. Ce groupe oublié autant par le mouvement Black Lives Matter que par les communautés LGBTQ+, joint ses forces aux manifestations antiracistes, contre la brutalité policière et le racisme systémique. Tout cela se passe durant le mois de la Fierté LGBTQ+, mois commémorant des émeutes contre la répression policière anti-LGBTQ+ et raciste, débutées un jour de juin en 1969.
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