La groac’h de l’île de Loc’h — Contes de fée méconnus

D’un temps précédant le nôtre, dans un village appelé Lannilis, se trouvait le grand amour partagé par deux jeunes tourtereaux. Ceux-ci, Bella Postik et Houarn Pogamm, n’avaient d’autre désir que de pouvoir se marier et fonder une famille. Certes, leur affection pour l’un l’autre était fort, mais leurs poches étaient dégarnies, ne leur permettant pas d’acheter une propriété et d’acheter le bétail nécessaire pour subvenir à leurs besoins présents et futurs.

Ayant vécu les dernières années de leurs vies durant dans les orphelinats, Bella et Houarn n’avaient d’autre option que d’offrir leur labeur aux gens du village contre rémunération, laquelle était à peine suffisante pour satisfaire leurs besoins primaires, encore moins s’acheter une vache et un pourceau.

Les deux jeunes âmes planifièrent donc leur futur commun dans leurs imaginations, ne pouvant même espèrer que leur sort ne s’améliore un jour, jusqu’à ce que Houarn prenne la décision de partir à l’aventure pour se remplir les poches. Quitter le village signifierait que les deux tourtereaux seraient séparés un laps de temps inconnu durant, mais cela leur permettrait également d’amasser quelques sous, ce qui les aiderait à amener leur rêve plus proche de leur réalité. 

Bella a donc souscrit à l’idée de Houarn et, l’aidant à préparer ses affaires avant le départ, lui donna quelques objets. Elle lui fit cadeau d’un couteau. Cet outil était cependant bien plus précieux qu’il n’y paraissait à première vue.

— Voici le couteau de saint Kaourintin, mon amour! Il te suffira de le toucher pour briser les effets d’un enchantement. Le couteau te permettra de voir plus clair lors de tes voyages, expliqua Bella à Houarn.

Ensuite, elle lui amena un fil de cuir auquel était accroché la clochette de saint Ké-Collédock.

— Cette petite clochette me permettra de t’entendre des plus profonds recoins de la Terre. Si tu requiers mon assistance ou te trouves dans le pétrin, sonne la clochette et j’arriverai à toi grâce à mon bâton de saint Vouga.

Après que les tourtereaux se soient dit au revoir dans une embrassade qui fit couler quelques larmes, Houarn partit en direction de Pont-Aven, une ville établie près du littoral atlantique. Le jeune homme avait prévu y trouver travail et ainsi amasser de l’argent.

Arrivé en soirée, Houarn se reposa dans une auberge locale. Avant d’aller dormir, il descendit dans l’ère de restauration pour aller manger une bouchée et discuter avec la gente locale.

Quelques instants seulement passèrent avant que trois jeunes hommes l’interpellent et l’invitent à les rejoindre. Après l’avoir questionné sur ses intentions de voyage, ses nouveaux camarades partagèrent qu’ils planifaient aussi trouver travail le matin venu.

Les quatre jeunes hommes attablés se mirent à parler de légendes locales et le plus jeune d’entre eux, un petit rouquin aux yeux bleus, entâma l’histoire de la groac’h, ou l’étrange fée de l’île de Loc’h. De notre temps, les histoires de la fée de l’île de Loc’h ont été balayées par le temps et les légendes urbaines, mais, en temps anciens, la groac’h représentait une menace bien contemporaine. 

L’île de Loc’h faisait partie de l’archipel de Glénan au sud de Fouesnant dans le Finistère. La fée qui habitait son lac, selon la légende, offrirait une richesse inimaginable aux personnes capables de lui résister. Cependant, nul ne revenait jamais de son voyage au fond du lac, expliqua le rouquin à Houarn. Malgré tout, il ne se découragea pas. Il devait tenter sa chance!

Les hommes attablés à ses côtés tentèrent de l’en dissuader, mais lorsqu’il passa son chapeau et leur demanda de contribuer financièrement à ses rêves afin de lui sauver le voyage, nul bougea d’un poil. Houarn se mit donc en marche vers l’île.

Une fois arrivé sur l’île de Loc’h avec l’aide d’un batelier local, Houarn se mit en chemin vers le lac, au centre de l’île. Sans surprise, après une courte marche, il arriva devant une petite étendue d’eau saumâtre sur laquelle brillait un soleil puissant. Les reflets de l’astre l’aveuglaient et il dut se couvrir les yeux. Il tenta tant bien que mal de discerner ce qui semblait briller au fond de l’eau, mais ne put y arriver.

Brûlant sous la chaleur étouffante, Houarn se pencha pour se rinser le visage. Dès qu’il toucha l’étendue d’eau, une chaloupe en forme de cygne couché s’avança vers lui. Houarn, curieux, sauta dans la chaloupe qui sembla se réveiller et l’emporta imminemment vers le fond. Lorsqu’il ouvrit les yeux, Houarn se trouvait dans un antre sombre. Il ne pouvait point distinguer quoi que ce soit plus loin que sa main devant son visage. Il avança quelques pas.

De l’autre côté de l’antre sombre, Houarn se retrouva dans un somptueux couloir de coquillages et de verre qui semblait s’étendre à l’infini. Devant lui se trouvait la plus belle femme qu’il ait jamais vue. Elle avait de jolies yeux noirs et des lèvres rouges et juteuses. Sa chevelure noire entremêlée de morceaux de corail tombait à la hauteur de ses hanches voluptueuses. La fée était vêtue d’une robe scintillante ornée d’or et de pierres précieuses. Elle tendit sa main à Houarn, qui la prit sans même réfléchir.

Alors que la fée l’amenait dans les profondeurs de sa demeure enchantée, Houarn observait ses alentours, émerveillé. Entre les coquillages, les parties translucides des murs laissaient transparaître le monde marin aux alentours, ce qui donna l’impression à Houarn de traverser un couloir sous l’océan. Des poissons plus imposants que dans ses cauchemars nageaient tranquillement au-dessus de lui et des coraux multicolores, dans lesquels se cachaient des petites créatures mignonnes, ornaient le sol marin à perte de vue.

La fée et Houarn devaient avoir quitté le lac et maintenant se trouver dans la chambre de l’archipel, cette étendue d’eau limpide entre les îles des Glénan. Il ne put estimer la période de temps que prit la traversée, mais Houarn eut l’impression d’avoir traversé vers un autre monde. Était-il toujours vivant? Il ne s’en préoccupait même plus. Il avait le cœur si léger qu’un simple coup de vent aurait put l’emporter.

La groac’h et Houarn s’approchèrent enfin de ce qui semblait être la résidence de la belle créature à allure humaine. Ils arrivèrent ainsi dans une immense au milieu de laquelle se trouvait une table dressée. Une fontaine décorée de pierres lisses au-dessus d’un puit profond se trouvait également à la gauche des arrivants, près du mur de la grotte subaquatique. Le plafond était recouvert de fils d’or et d’argent, de coquillages entremêlés à des morceaux des corail colorés et de pierres précieuses reluisant dans la lumière diffuse de l’endroit, bien qu’aucune chandelle ou lampe ne soit en vue.

Toujours sous l’emprise de la magnifique fée, Houarn ne pouvait même apprécier le décor qui se trouvait autour de lui, n’ayant d’yeux que pour l’être qui l’accompagnait. Il ne pensait pas non plus à Bella, ou à leurs rêves communs, allant même jusqu’à oublier la raison de son voyage dans les profondeurs du lac de l’île de Loc’h.

Alors que le temps semblait s’être arrêté dans ce dit paradis subaquatique, la groac’h se tourna vers Houarn, lui offrit sa main et lui demanda s’il désirait la marier. Suivant l’approbation instantannée du jeune homme, elle l’embrassa, puis lui dit qu’il pourrait rester ici avec elle aussi longtemps qu’il le désirait. Sur un nuage, Houarn s’assit à la table décorée et but le vin que lui offrit la fée resplandissante. Celle-ci s’avant ça ensuite vers la fontaine et y pêcha quelques poissons avec un filet, avant de les faire griller sur une petite plaque au-dessus d’un feu invisible.

Un bruit étrange provenait des poissons lorsque la groac’h les faisait cuire, mais Houarn n’arrivait pas à les reconnaître. Un sifflement, il semblerait, mais il n’y fit pas trop attention. Songeant à Bella, le jeune homme se trouva bien heureux et chanceux d’avoir rencontré la fée, pensant que sa douce à Lannilis n’arrivait point à la cheville de la créature en splendeur.

Une fois les poissons cuits, le sifflement continua de retentir, plantant une graine de questionnement dans l’esprit de Houarn. Ce dernier décida donc, lorsque la groac’h plaça son assiette devant lui, de prendre le couteau que lui avait donné Bella dans sa main droite.

Dès lors, le jeune homme revint à lui. Il réalisa qu’il se trouvait en fait dans une grotte sombre et lugubre, et que les poissons dans son assiette n’étaient alors que de petits hommes criant à l’aide. Ne désirant pas évoquer le doute chez la fée, le jeune homme se resaisit avant de lever les yeux vers la créature. À la place de la belle femme qui se trouvait devant ses yeux quelques secondes auparavant, était maintenant une vieille bête mi-femme, mi-morse avec des dents plus longues que ses propres avant-bras.

Houarn prit une grande respiration et tenta tant bien que mal de dissimuler son horreur, mais hélas, la groac’h avait vu à travers son jeu. D’un tour de main, elle le transforma donc en grenouille! Houarn, en se transformant, fit tomber la clochette hors de sa poche de pantalon. Étrangement, aucun son ne rententit dans la grotte. Houarn la grenouille ne put donc que s’enfuir de la groac’h qui tentait de l’écraser sous son pied en riant à grosse voix.

Bella, bien que toujours à Lannilis, entendit le son de la clochette clairement, réalisant tout de suite que son bien-aimé était en danger. Elle prit donc son bâton, le cogna par terre et, lorsqu’il se changea en oiseau, s’accrocha à celui-ci et vola au secours de son amoureux.

Son voyage dans le ciel la mena au zénith d’une falaise en bord de mer, sur laquelle se trouvait un korrigan attaché à une énorme pierre. Après que son bâton ait retrouvé sa forme, elle questionna le petit être surpris de la voir.

— Je cherche mon fiancé. Mon bâton de saint Vouga m’a emmenée à vous.

— Oh, ce doit être elle, il n’y a plus d’espoir, grommela le korrigan dans sa barbe.

— Qu’est-ce que vous voulez dire? revint Bella à la charge.

— C’est la groac’h, ma femme, qui doit le détenir. Il est perdu, vous feriez mieux de l’oublier. Mais dîtes-vous, pourquoi ne pas me détacher?

Bella regarda la korrigan de haut en bas, tentant d’évaluer la confiance qu’elle pouvait lui instiller ou pas.

— D’accord, je vous détache, mais vous m’emmener à la groac’h, finit par dire Bella à la créature.

Le korrigan grogna, mais acquiesça, ajoutant :

— Ma femme n’a qu’un seul point faible, son filet. Si vous réussissez à l’y prendre, vous aurez peut-être une chance, mais il faudrait déjà lui dérober…

Bella le remercia, puis détacha le petit être et descendit jusqu’à la plage, avant de faire retentir son bâton sur le sol à nouveau pour qu’il se change en petit bateau. Elle vogua ainsi jusqu’à l’île de Loc’h, le bâton-bateau semblant bien connaître le chemin qui mènerait à son amoureux.

Une fois arrivée à l’île, Bella prit la route qu’avait entreprise Houarn auparavant, jusqu’à se retrouver à l’entrée de la grotte de la groac’h. Observant la scène de l’extérieur, elle fut surprise de voir la bête tenter d’écraser une petite grenouille sautant à travers la grotte, mais lorsqu’elle remarqua les vêtements de Houarn par terre, elle déduit le reste des événements passés. Bella se rappela des instructions du korrigan et essaya de remarquer l’emplacement du filet de la groac’h. Il était attaché à sa ceinture. Elle devrait donc s’approcher d’elle pour l’attraper.

La jeune femme entra donc dans la grotte, trahissant du même fait sa présence à la groac’h et à la grenouille. Tentant le tout pour le tout, Bella courut jusqu’aux vêtements de Houarn et attrapa le couteau qui se trouvait aux alentours. Elle menaça ensuite la groac’h, qui s’était soudainement désinteresséee de la grenouille, de son arme et s’approcha de la créature immonde.

S’ensuivirent des coups et des esquives de chaque côtés, toujours se rapprochant du puit et de la fontaine. Dès que Bella eut guidé la groac’h jusqu’à l’endroit désiré, elle mit à l’effet la prochain phase de son plan de fortune. Elle lança le couteau vers la groac’h qui dû se plier quasiment en deux, attrapa le filet à la ceinture de la créature avant de le poser sur la fée et la poussa d’un coup de pied dans le puit. Une fois la fée tombée, Bella remit le ouvercle de pierre sur le puit.

Au moment même où le filet touchait la chair de la groac’h, les petits hommes dans la fontaine s’étaient mis à grandir jusqu’à taille moyenne et à sortir de l’eau. Sans oublier que le grenouille se transforma en son bien-aimé, toujours un peu confus de la situation. Dès qu’il vit Bella cependant, il partit l’embrasser, oubliant même d’être embarrassé de sa nudité. Les autres hommes remercièrent le couple, trouvant leurs propres vêtements dans un coffre dans la grotte tout près de là.

Alors qu’ils fouillaient dans l’antre de la groac’h, le jeune couple tomba sur une boîte remplie de pièces d’or et de pierres précieuses. Ils se divisèrent tout le trésor entre eux, avant de quitter les lieux pour toujours. Ainsi, le jeune couple put enfin s’acheter du bétail et une humble chaumière de retour à Lannilis. Ils se marièrent et vécurent heureux le restant de leurs jours.

Aujourd’hui, se trouve toujours sur l’île de Loc’h un lac saumâtre, mais il n’est pas recommandé d’aller s’y aventurer, au cas où la groac’h oubliée aurait trouvé sortie de son puit.

La série Contes de fée méconnus englobe des contes, mythes et légendes varié.e.s provenant des quatre coins du monde. Pour en lire davantage, visitez cette page dédiée aux articles de fiction.

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